Je me souviens d’une phrase qui m’a particulièrement marquée pendant mes études en environnement à l’ULB : l‘alimentation est la deuxième cause de mortalité dans le monde, après le tabac. Un décès sur 5 est du à une mauvaise alimentation. Mais, à la différence du tabac, nous ne pouvons nous passer de nourriture. Nous sommes donc tous concernés.
Pourquoi la nourriture actuelle pose-t-elle tant de problèmes ? Car les aliments industriels sont ultra-transformés, peu qualitatifs d’un point de vue nutritionnel et contiennent un nombre très élevé d’additifs en tout genre. Additifs dont les effets ne sont pas toujours connus, encore moins quand ils sont croisés, ce qu’on appelle l’effet cocktail.
Au départ, dans les années 50, la grande distribution voulait proposer un accès aux produits aux classes défavorisées. Mais finalement, on surproduit pour surconsommer, et pour faire des marges. Le prix low cost induit forcément une perte de qualité. En fait, “l’industrie agro-alimentaire ne cherche pas à nous nourrir, mais à consommer d’une certaine façon pour que cette consommation génère un profit facile“, dit Périco Lecasse (dont je ne suis pas d’accord avec tous ses propos mais c’est un autre débat). Cette surproduction engendre des problèmes environnementaux, d’éthique et de santé. Dans cet article, j’ai voulu me centrer sur les aspects sanitaires des ingrédients ultra-transformés. Je n’aborderai donc pas les aspects environnementaux, le gaspillage alimentaire ou les intrants, comme les pesticides.
Des aliments ultra-transformés
La malbouffe définit des aliments ultra-transformés, à faible valeur nutritionnelle et haut apport calorique. Ils composent en France 35% de notre apport énergétique. On les différencie des “simples” aliments transformés (comme les boites en conserve, le pain frais, les fromages, etc.) car ils sont plus riches que ces derniers en sel, sucre et graisse et contiennent des ingrédients chimiques comme les additifs. Vous voulez des exemples d’aliments ultra-transformés ? Les biscuits, les pizzas surgelées, les sodas, certaines viandes et charcuteries, certains types de pain, céréales, bonbons, soupes instantanées, plats préparés, etc.
Il s’agit aussi d’ingrédients qui ont subi des opérations chimiques, comme le cracking, technique originaire de la pétrochimie. Omniprésente dans l’industrie agroalimentaire depuis des décennies, elle consiste à fractionner un ingrédient brut en composés dérivés. Cela permet d’augmenter l’attractivité de l’aliment à moindre coût, en termes de texture, saveurs, couleurs, aspect, etc.
Comme une drogue
Par leur haute teneur en graisse et en sucre, les aliments ultra-transformés nous conditionnent. On parle de “circuit de la récompense” et de “point de félicité” : plus il y a de sucre, amidon, sel, graisse, plus il y a libération de dopamine, un neurotransmetteur qui provoque une sensation de plaisir. C’est la même réaction qu’en cas de prise de drogue…Ce point de félicité a été découvert en 2014 par Howard Moskowitz : plus on mange de sucre, plus on a du plaisir, jusqu’à un certain point – le fameux point de félicité. Et c’est ce point F que les industriels cherchent à atteindre en créant leurs produits.
Saviez-vous que la France est le premier producteur de sucre en Europe ? Click To TweetCe circuit de la récompense s’ancre dans notre cerveau et notre mémoire et renforce notre motivation à manger l’aliment en question. La concentration en ces ingrédients est tellement forte dans les aliments ultra transformés que notre plaisir gustatif est décuplé. Cela influence nos comportements alimentaires. Or, ces aliments ne calment pas la faim et perturbent la sensation de rassasiement. En effet, le sucre aiguise l’appétit.
Vous l’aurez compris, les industriels créent leurs produits afin qu’ils soient le plus appétissants possibles. Il ne reste plus qu’à la publicité de renforcer notre addiction et le tour est joué.
Des aliments à bas prix
Le problème, c’est que ces produits sont très accessibles, disponibles partout, à bas prix. Ils sont jusqu’à 60% moins chers que ceux du rayon frais.
La malbouffe s’inscrit dans un contexte sociétal plus général dont deux conséquences majeures sont à relever :
- la part de notre budget consacré à la nourriture diminue : 29 % en 1960 contre 17 % en 2019
- nous passons de moins en moins de temps à cuisiner : 71 minutes par jour en 1985 contre 61 minutes en 2010.
Ce contexte favorise l’achat de malbouffe et de plats préparés et augmente la demande.
Il y a de plus en plus d'aliments ultra transformés sur le marché et nous en consommons de plus en plus. Click To TweetLes risques de la malbouffe
Les risques de la malbouffe sont bien connus : problèmes dentaires, cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète de type II, obésité, syndrome du colon irritable, et même dépression. En fait, le taux de mortalité augmente avec la malbouffe.
Et malheureusement, ce sont souvent les populations précarisées qui sont le plus exposées à ces risques. C’est la “double peine” : ne pas avoir les moyens de s’offrir des aliments à haute valeur nutritionnelle, frais, bio, etc. et en subir par après les conséquences sanitaires et financières inhérentes.
Obésité
A partir de 1980, l’épidémie d’obésité se propage dans le monde entier, les Etats-Unis en tête. En cause ? La chasse au gras, pointé du doigt comme responsable de maladies cardiovasculaires, conduit les industriels à alléger leurs aliments en les transformant : en ajoutant du sucre et des céréales, sans compter des additifs, pour plus de saveurs. On crée de faux aliments, aux calories vides, mais appétissants. En diminuant les fibres, on perturbe notre flore intestinale, qui aide notamment à maintenir notre poids.
Conséquence ?
Actuellement, 2 milliards d’être humains sont en surpoids ou obèses. En 2030, la moitié de la planète sera obèse ou en surpoids. Il y a deux fois plus d’obèses en France qu’en l’an 2000. L’obésité tue un million de personnes chaque année en Europe.
Diabète de type II
Autre problème : le diabète de type II. En effet, l’excès de glucide fatigue le pancréas. Il y a actuellement 430 millions de diabètes dans le monde. Un adulte sur 10 est concerné. Au Mexique, le diabète est devenu la première cause de mortalité.
Mais il y a aussi les cancers colorectaux dus aux additifs nitrités ajoutés dans les charcuteries. Un lien avéré depuis les années ’70. Et pourtant, depuis, aucune décision visant à réduire la présence de nitrites.
Face à ce constat, les industriels lancent des programmes ciblés sur les comportements individuels : varier son alimentation, bouger, etc. De fameuses stratégies de dispersion, inscrites plus largement dans ce qu’on appelle une fabrique du doute (agnotologie).
S’y ajoute un intense travail de lobbying de la part des industries agroalimentaires pour que le gouvernement n’incite pas à modifier nos systèmes alimentaires.
Deux exemples de stratégies de dispersion
En 2014, Coca-Cola lance le “Global Energy Balance Network“, un programme international de recherches qui proposent de résoudre l’obésité par l’exercice physique. Lorsqu’il a été révélé que ce programme était géré par le géant du soda, il a été démantelé en 2015. Cet exemple est un flagrant délit de fabrique du doute… qui fonctionne : en se focalisant sur la dépense énergétique, l’industrie agroalimentaire évite une remise en question de ces produits défaillants. Or, on sait que l’exercice physique ne joue pas un rôle prépondérant dans la perte de poids.
En France, Nestlé, 1er groupe alimentaire mondial, a créé en 2018 la Fondation Nestlé pour “l’étude des comportements alimentaires favorables à la santé et au bien-être, puis à la promotion de la culture alimentaire française”. En faisant notamment des actions éducatives au sein des écoles, des conférences et de la recherche appliquée, Nestlé s’assure d’empêcher toute initiative gouvernementale de santé publique. En parallèle, Nestlé vend des céréales pour enfants qui contiennent à elles-seules 23% de la quantité de sucre qu’un enfant peut ingérer quotidiennement. Est-il question de revoir la composition des céréales ? Non, puisque toute la stratégie est axée sur la consommation responsable des individus.
Ces deux techniques de dispersion s’inscrivent dans une stratégie plus large d’agnotologie. On compare souvent le combat contre l’industrie agro-alimentaire avec celui du tabac. Et pour cause, Kraft appartient jusqu’en 2007 au cigarettier Philip Morris. Or, les industries du tabac ont développé de puissantes stratégies de fabrique de l’ignorance en mettant en place des programmes de recherche scientifique de distraction. Ces mêmes stratégies sont utilisées pour détourner la responsabilité de l’agro-alimentaire. Les risques des aliments ultra-transformés sont avérés mais la multitude des études ne parvient pas à mettre en place une réglementation uniforme. Pourquoi ? La méthode de référence ne se met pas en place. Et sans méthode analytique, impossible de réaliser des études comparatives…
Additifs, auxiliaires technologiques et huiles minérales
Le règlement de l’UE définit les additifs comme : “toute substance habituellement non consommée comme aliment en soi et non utilisée comme ingrédient caractéristique dans l’alimentation, possédant ou non une valeur nutritive, et dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique, au stade de leur fabrication, transformation, préparation, traitement, conditionnement, transport ou entreposage a pour effet, ou peut raisonnablement être estimée avoir pour effet, qu’elle devient elle-même ou que ses dérivés deviennent, directement ou indirectement, un composant de ces denrées alimentaires”. Il s’agit par exemple des édulcorants, colorants, conservateurs, exhausteur de goût, etc.. On les reconnait sur l’étiquette par un numéro précédé d’un E majuscule.
300 additifs sont autorisés par l’Union européenne. Tous les additifs ne sont pas nocifs, certains sont supposés nocifs à long terme et d’autres à court terme. Par exemple, L’E171 est interdit en France. Le problème de ces additifs, c’est que leurs effets se potentialisent entre eux, c’est ce qu’on appelle le “cocktail effect”. Et il n’est pas étudié. Par repas, nous consommons jusqu’à 20 substances différentes.
A la différence des additifs, un auxiliaire technologique est censé disparaitre au cours du procédé de fabrication de l’aliment, s’y retrouvant uniquement sous formes de traces. Dès lors, il ne doit pas être repris sur l’étiquette. Il existe 500 auxiliaires technologiques utilisés par l’industriel dans son procédé technologique. Il s’agit par exemple de solvants d’extraction qui permettent de faire du café décaféiné. Les auxiliaires technologiques sont supposés être sans danger pour le consommateur mais saviez-vous que parmi eux, il y a notamment des biocides (comme le cancérigène formaldéhyde utilisé comme désinfectant), des métaux lourds, des gaz polluants, des ingrédients pétrochimiques comme des hydrocarbures. Personnellement, je trouve ça très inquiétant que de telles substances soient utilisées pour fabriquer des aliments.
Les huiles minérales, nouvelle découverte
Les huiles minérales sont dérivées du pétrole. On les retrouve dans les encres des cartons. Et ces encres se transfèrent sur l’aliment et le contaminent. Elles sont très nocives. Exemple : le riz, les pâtes, les céréales, etc. Pour éviter ces contaminations, il faut ajouter du plastique protecteur. Les boites à conserve sont aussi dangereuses. 20% des vernis se dissolvent dans les aliments. Au contact des aliments, les vernis sont des substances réactives : càd qu’elles créent de nouvelles molécules qui interagissent avec notre ADN. Actuellement, 2000 substances ont été étudiées mais les scientifiques en relèvent 100 000 dans nos emballages.
La guerre à la malbouffe
Aux USA, San Francisco a déclaré la guerre aux sodas en imposant des taxes, tout comme le Mexique. Au Chili, depuis 2016, les emballages doivent reprendre des logos indiquant si l’aliment contient trop de sel, de sucre, de graisses et de calories. Le Pérou, l’Uruguay et le Mexique sont en passe de faire pareil.
En Europe, le nutri-score, s’il existe, n’est pas obligatoire. La taxe “Soda” est à l’état de projet dans plusieurs pays, et en application depuis 2012 en France, et 2016 en Belgique. Celle-ci taxe les boissons qui contiennent des sucres ajoutés ou des édulcorants de synthèse. Si elle vise à encourager les industriels à réduire le taux de sucre présent dans les boissons, ceux-ci pratiquent le shrinkflation pour éviter la réglementation : ils baissent les quantités de boissons tout en gardant le même prix, voire en l’augmentant. Les prix ont ainsi augmenté de 4 à 25% depuis la mise en œuvre de la taxe Soda.
Du côté de l’Allemagne, elle refuse de mettre des taxes mais demande aux industries de réduire leur taux de sucre, graisse et sel dans les 7 prochaines années. Elle compte sur l’engagement volontaire des marques…
En Belgique, la taxe Soda s’est vue complétée par la Convention Alimentation Equilibrée. Son objectif est de réduire de 5% l’apport calorique. 2/5 des industries ont déjà atteint cet objectif. Il s’agit d’un accord volontaire, que je trouve très peu ambitieux.
Clean label
Beaucoup de labels apparaissent sur les emballages des ingrédients : “à l’ancienne”, “saveur d’antan”, “comme à la maison”, etc. Des labels qui ne sont pas régis ni réglementés.
Le clean label en est un exemple. Il vise à réduire le nombre d’ingrédients (moins de sucre, moins de sel, moins d’additifs). Le clean label implique donc de remplacer les additifs artificiels par des ingrédients naturels. Un ingrédient naturel est un ingrédient connu, présent dans notre cuisine et brut (selon la norme ISO 19657). Néanmoins, le clean label n’est pas une appellation protégée ni réglementée.
Comment savoir si un produit est clean label ? La liste d’ingrédients est plus courte et compréhensible. Mais le clean label, c’est aussi, bien sûr, une opération marketing.
Quelques astuces pour manger mieux
Vous l’aurez compris, difficile de s’en sortir dans la jungle alimentaire. Voici néanmoins mes conseils pour y voir plus clair :
- Faites une liste de courses avant de vous rendre en magasin.
- Regardez les ingrédients de ce vous achetez : plus la liste est courte, mieux c’est. Et si vous ne comprenez pas les termes, ce n’est pas bon signe…
- Privilégiez les aliments non-transformés, dits “bruts”.
- Evitez un maximum les plats préparés. Cuisiner prend du temps, mais le batchcooking, qui permet de préparer un maximum à l’avance, est une solution qui fait ses preuves. Munissez-vous également de livres de recettes ‘express’.
- Faites vos courses chez des commerçants qui possèdent une charte éthique, que ce soit en ligne, la Fourche par exemple, ou chez des commerçants locaux. Il existe même en Belgique des box repas locales, bio et zéro déchet, les Littlegreenbox.
- Tournez-vous vers des alternatives aux supermarchés.
- Informez-vous auprès de différentes sources : meilleur remède pour contrer la fabrique de l’ignorance des industriels
- Utilisez des applications pour vous simplifier la vie, comme Yuca, tout en gardant à l’œil votre esprit critique.
- Soyez vigilants avec le nutri-score : celui-ci est utile pour comparer des aliments de même catégorie entre eux. Rien d’autre.
- Consultez mes articles sur l‘alimentation durable :
- Et enfin, pratiquez le minimalisme alimentaire et nourrissez-vous en pleine conscience : prenez plaisir à savourer chaque bouchée !
Aller plus loin
- “La grande malbouffe”, Arte
- “Un monde obèse”, Arte
- “Diabète, une addition salée’, Arte
- “Sucre, comment l’industrie vous rend accros”, Cash investigation (sur YouTube)
- “Alimentation – Y a-t-il du poison dans nos assiettes ?”, documentaire d’Aurore Chiroix
- “Industrie agroalimentaire : business contre santé”, Cash Investigation (sur YouTube)
- La convention alimentation équilibrée, SPF Santé publique, sécurité de la chaine alimentaire et environnement
- Site web de La convention alimentation équilibrée
- Le Label rouge, signe de qualité supérieure | Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation
- “Sucre, sel et matières grasses” de Michael Moss
- “Périco Légasse : Malbouffe et mondialisation”, podcast “Thinkerview”
- “Pourquoi la malbouffe fait-elle envie ?”, podcast “Choses à savoir SCIENCES”
- “Devez-vous écouter vos envies de malbouffe”, podcast Insupportable perfection
- “La malbouffe devrait-elle coûter plus cher ?”, podcast On s’appelle et on déjeune
Article très utile et qui m’a fait plaisir, car depuis plusieurs années je n’achète que très occasionnellement des plats préparés, privilégiant les crudités et les recettes maison. Merci de rationaliser ces questions d’intérêt général !